Finance&Gestion 381 (Juillet/Août 2020)
Gestion des risques et contrôle interne
Expertises
Citons aussi la dégradation de leur image puis de leurs positions sous l’effet de la publication de jugements ou d’autres décisions. Ces risques sont parfaitement intégrés mais tendent à s’estomper. Le « rapatrie- ment » de dossiers rendu possible depuis Sapin II et a fortiori la concrétisation sou- haitable des recommandations du rapport Gauvain devraient minimiser le premier risque, et cela est salutaire. Il devrait en être de même des suivants du fait de l’incitation croissante à régler les litiges de manière consensuelle et non conten- tieuse : Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) à présent introduite dans le droit français, conciliation, médiation et arbitrage privilégiés par les principes directeurs de l’OCDE 2 . Avec la possibilité qu’ont ses points de contact nationaux (PCN) de ne pas divulguer les résultats de leurs travaux s’ils le jugent contre-pro- ductif, l’équilibre recherché entre trans- parence et confidentialité des affaires (et des mauvaises pratiques) bénéficie plutôt à la seconde. Tous ces dispositifs prennent le pas sur une justice réellement coercitive, une justice « rendue ». Si l’avènement de cette justice souple a son origine dans la lenteur bien réelle des tribunaux à juger et sanctionner les infractions qui minent des économies entières, le manque de moyens humains et financiers dédiés à l’investigation n’en est-il pas la cause? L’introduction dans le droit français de la CJIP, inspirée des anglo-saxons, aurait- elle eu lieu si les autorités avaient lutté activement dans les deux décennies pré- cédentes contre l’utilisation systéma- tique de l’extra-territorialité comme arme de guerre économique par ceux-ci ? On a pris le problème à l’envers. Le peu d’incitation à enquêter et à diffuser le renseignement utile dans les sphères économique et judiciaire a pour effet à présent de laisser ou remettre en circula- tion sur le marché des acteurs toxiques. Faut-il se féliciter qu’ils retrouvent leur place dans les marchés publics? Certes
on leur aura demandé de se conformer à des pratiques acceptables et on aura défendu des emplois mais la force d’une sanction publique n’est-elle pas meilleur remède pour garantir la confiance, assai- nir et sécuriser un marché?
Prendre des décisions régulières… et éclairées À présent que les acteurs économiques disposent de cadres clairs et bienveillants et qu’ils les maîtrisent, l’effort pourrait-il enfin être porté sur le renseignement dans les différentes phases d’opérations? La lecture des guides de conformité émis par les autorités (OCDE, AFA…) – hormis le FCPA ! – comme ceux d’origine privée pour les fusions–acquisitions, révèle la méconnaissance des moyens et de l’ap- port du renseignement économique à l’évitement de ces risques. En effet, pré- sentant les moyens de recueillir l’informa- tion (le mot renseignement est tabou), ils renvoient aux échanges et entretiens avec la partie adverse (cible d’acquisition ou contentieuse), à la revue des contrats, aux questionnaires – autrement dit au décla- ratif – voire à la consultation de sources ouvertes, comme si de là jaillirait la réa- lité des faits prétendument craints. De même l’exigence de diligence raisonnable entre les phases de signing et de closing 3 reste modeste, au motif que le délai (plu- sieurs mois) n’y serait pas propice. Cela laisse dubitatif n’importe quel praticien du renseignement économique, formé à sélectionner et mobiliser des ressources ad hoc en délai contraint. Les outils puis- sants d’analyse de données déployés dans les phases d’opération ultérieures vont certes eux permettre d’identifier et de caractériser (trop tard?) des faits et des risques mais, il ne faut pas se leurrer, sans intervenir sur le terrain dans l’environne- ment de l’entreprise on se privera d’in- formation qualitative indispensable à la maitrise effective de tels risques.
46 FINANCE&GESTION | Juillet Août 2020
Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online