Finance&Gestion 381 (Juillet/Août 2020)
Contrôle de gestion environnementale et sociétale
POINTS À RETENIR •Partage de la valeur entre parties prenantes, écart de revenus ; la comptabilité est une source de données pour répondre aux attentes de clients et d’investisseurs exigeants, qui demandent des preuves •Des gains économiques & écologiques sont possibles. Mais produire la même chose avec moins de ressources ne répond pas à tout •Il faut explorer de nouvelles frontières, comme le retour sur investissement énergétique : aucun projet qui consomme plus de calories qu’il n’en produit ne devrait être accepté
ressources naturelles. Ces dépenses environnementales doivent être sur- veillées dès lors qu’elles représentent des montants importants. Toutefois, cela ne donne aucune information sur le caractère vertueux ou efficace des dépenses engagées par l’entreprise pour réduire ses impacts. En effet, des sommes peuvent être dépensées de manière inefficace, ou correspondre à des obligations juridiques. Enfin, certaines pratiques de calcul de coût, où les frais généraux ne sont pas suf- fisamment étudiés, peuvent masquer des coûts environnementaux. Pour comprendre la performance sociale et environnementale d’une entreprise, il est donc nécessaire de faire appel à des données non finan- cières. Interpréter des données non financières: une nouveauté? Le recours à des données non finan- cières n’est pas une nouveauté pour le contrôle de gestion. Les tableaux de bord incluent largement ce type de données: heures travaillées, acci- dents de travail, consommations diverses, résultats d’enquêtes clients… Dans le domaine social, les indica- teurs sont encore peu élaborés et il reste beaucoup à faire. En revanche, certaines entreprises pratiquent déjà une comptabilité en quantités phy- siques. Cela permet à l’entreprise de mieux concevoir ses produits et ser- vices, de réduire ses consommations de ressources non renouvelables et ses rejets polluants, depuis l’achat des matières premières jusqu’à la fin de vie, en passant par la fabrication et l’utilisation. On cherche ainsi à pro- duire la même chose avec moins de ressources, à les faire durer plus long- temps. Cette logique « d’efficacité écologique » est indispensable mais elle rencontre des limites. LA COMPTABILITÉ EST DÉJÀ UNE SOURCE D’INFORMATIONS CONSIDÉRABLE
La logique d’efficacité écologique et ses limites
Dossier
Produire la même chose en utilisant moins de ressources et en polluant moins est indispensable, mais pas suf- fisant. Tant que nous dépendrons de la croissance économique pour créer de la richesse, et des emplois, nous « effa- cerons » ces gains d’efficacité écolo- gique en produisant toujours plus. Nos consommations et nos émissions pol- luantes continueront d’augmenter, avec des répercussions d’une gravité crois- sante (contaminations de la chaîne alimentaire, maladies professionnelles liées à la pollution, allongement des distances domicile-travail…). Aujourd’hui, nous ne savons pas conce- voir une économie prospère sans endom- mager l’environnement et la société. La survie de nos sociétés humaines est pourtant mise en question. C’est un défi pour l’avenir et peut-être le signe qu’il convient d’explorer de nou- velles frontières. NOUS NE SAVONS PAS CONCEVOIR UNE ÉCONOMIE PROSPÈRE SANS ENDOMMAGER L’ENVIRONNEMENT ET LA SOCIÉTÉ Les possibilités sont innombrables. Esquissons ici une piste: le retour sur investissement énergétique (EROI), mesuré en calories. Par exemple, selon Hall et Klitgaard 1 , l’achat d’un bagel, pour un dollar, nécessite l’extraction de gaz pour fabriquer des engrais, la pro- duction de diesel afin qu’un tracteur puisse récolter et semer du blé, puis d’électricité pour fabriquer la farine, et de diesel enfin pour livrer la farine là où le bagel doit être fabriqué, ce qui nécessite encore de l’énergie. Or, en moyenne, aux États-Unis, pour produire une calorie de nourriture vendue au consommateur, il faut consommer 10 calories d’énergie fossile. Peut-on ima- giner qu’une entreprise pérenne doive dépenser 10 euros pour générer un euro de chiffre d’affaires? Puisque les universitaires ont la possi- bilité de penser un monde idéal, éloi- gné des contraintes que peut rencontrer le dirigeant au quotidien, je propose L’exploration de nouvelles frontières
que tout projet qui consomme plus de calories qu’il n’en produit soit interdit. La neutralité énergétique mais aussi la neutralité carbone sont cruciales. Elles doivent encadrer la recherche du pro- fit, qui est légitime, pas l’interdire. Le respect de l’écologie n’empêche pas le profit. C’est d’un changement de société dont il est question, pour prévenir des crises sociales et environnementales majeures. L’épidémie de Covid-19 est une invitation à penser autrement. Il est temps d’explorer les nouvelles frontières du contrôle de gestion. Les défis sont nombreux, mais les contrô- leurs de gestion ont la possibilité d’être des pionniers!
23 FINANCE&GESTION | Juillet Août 2020
JE PROPOSE QUE TOUT PROJET QUI CONSOMME PLUS
DE CALORIES QU’IL N’EN PRODUIT SOIT INTERDIT
1— G. Hall et K. Klitgaard, Energy and the Wealth of Nations: Understanding The Biophysical Economy, Springer, 2012.
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CONSEILS
Proposez un tableau au dirigeant, avec des données comptables qui décrivent la réponse de l’entreprise aux attentes de la société Suivez consommations et rejets, cherchez les gains économiques et écologiques Ayez l’esprit des nouvelles frontières: devenez le pionnier d’un nouveau contrôle de gestion
LE RECOURS À DES DONNÉES NON FINANCIÈRES N’EST PAS UNE NOUVEAUTÉ POUR LE CONTRÔLE DE GESTION
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